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Les jeunes sont des poltrons

Lundi 10 mars 2014

Ce matin le lever est à 6h. Enfin, en théorie, parce que je n'entends pas le réveil sonner. Quand par instinct je regarde ma montre, j'ai déjà 20 minutes de retard sur les 60 à disposition avant notre départ ... Je passe donc rapidement de la phase de sommeil profond à l'état de potentiel vainqueur du 100m des prochains JO. Toutefois, je dois admettre que j'ai bien dormi.

Aujourd'hui, nous partons pour la mer. Pour tempérer notre enthousiasme, Stéphane nous a précisé que les côtes namibiennes sont visitées par le courant de Benguela venu directement de l'Antarctique. De sa confrontation perdue avec les vents chauds en provenance de l'est nait le désert du Namib, un des plus arides de la planète au même titre que l'Atacama au Chili. Une autre conséquence de cette convergence de masses thermiques opposées est la présence très régulière de brouillard à l'intérieur des terres et de ciel gris sur une partie du littoral.

Peu après notre départ nous marquons une halte en bord de route près de boutiques tenues par des femmes hereros (celles qui portent un couvre-chef en forme de cornes). Contrairement aux premières impressions, leur accueil est pacifique.

Femme herero

Femme herero

Femme herero

Village herero

Pour un temps, le paysage est encore vert. A l'horizon se dessine un inselberg, une des trois montagnes isolées faisant partie du Grand Escarpement, cette barrière géologique courant du nord au sud du pays. Il s'agit en l'occurrence du Brandberg, 25 kilomètres de long !

Après Uis, ville minière consacrée à l'étain, les arbres diminuent de plus en plus en taille, puis laissent la place à des buissons qui finissent par disparaître. Bref, le désert s'impose. En certains endroits, la végétation résiste encore à travers du lichen marron. Quelques animaux subsistent dans ces conditions rudes (gazelles et autruches). A se demander comment ils sont arrivés là et comment ils survivent ?

Notre première destination du jour est Cape Cross. Historiquement, c'est ici qu'ont débarqué les premiers européens à la recherche d'un passage vers les Indes en contournant l'Afrique (des portugais pour leur rendre l'hommage qui leur est dû). Touchant terre en ce lieu, Diego Cão y a fait ériger une croix de 3 mètres de hauteur. Aujourd'hui l'originale se trouve en Allemagne et des répliques ont été installées sur place. Faisant également face à la mer, un petit cimetière que l'on envisagerait volontiers comme étant celui de ces explorateurs qui ont bravé les océans pour ouvrir de nouvelles routes commerciales.

L'autre raison pour laquelle nous sommes venus, la principale à vrai dire, c'est pour voir la colonie d'otaries à fourrure du Cap la plus importante de la côte : près de 100 000 animaux en permanence ! Pendant une demi-heure, nous avons l'opportunité de respirer un air marin vivifiant, parfumé aux déjections d'otaries. Les mâles pèsent 120 kg en général mais montent jusqu'à 300kg à la saison des amours où ils reviennent sur place. En comparaison, la femelle ne pèsent que 75kg (toutes proportions gardées c'est un peu comme si on mettait Teddy Riner et Mimie Mathy ensemble). Les femelles restent à l'année sur le site avec leurs petits. Pour se reconnaître, tout fonctionne à l'odeur et au cri. Le pelage de l'otarie retient les bulles d'air et lui permet de maintenir une température corporelle de 35° même dans le courant de Benguela. Chaque jour, elle doit s'aventurer en mer pour se nourrir et absorbe à cette occasion l'équivalent de 8% de son poids. Elle peut aller pêcher jusqu'à 200km des côtes. Après la fécondation, elle peut différer l'implantation de l'oeuf pendant les 3 premiers mois, le temps que son bébé de l'année précédente soit sevré. La gestation dure ensuite 9 mois. 70% des nouveaux-nés meurent par écrasement des mâles, déshydratation si la mère s'absente trop longtemps ou par les prédateurs (chacal, hyène, ...). A cause de la rivalité avec les pêcheurs namibiens, des quotas d'abattage sont accordés chaque année, quotas pouvant aller jusqu'à 2% des effectifs ! Quand on se bouche le nez et se concentre sur les yeux attendrissants de ces peluches, c'est révoltant de privilégier l'économie à l'environnement.

Cape Cross - Colonie d'otaries à fourrure du Cap

Otarie à fourrure du Cap

Otaries à fourrure du Cap

Otarie à fourrure du Cap

Otarie à fourrure du Cap

Otarie à fourrure du Cap

Nous reprenons ensuite la route vers Swakopmund où notre après-midi sera libre. En attendant, nous nous arrêtons en route à Henties Bay pour pique-niquer au bord de l'océan. Les polaires sont de sortie, le soleil étant le grand absent et ayant perdu 15 à 20 degrés par rapport à hier.

Dernière partie de la route vers la 3ème ville du pays : Swakopmund, 47 000 habitants. La ville s'est spécialisée dans le tertiaire même si le sel, les mines et la pêche apportent aussi une part non négligeable de ses ressources. Son apparence est fortement influencée par l'ancien colon : l'Allemagne. Aujourd'hui, malgré un temps couvert la plupart de l'année, la ville possède une grande attractivité aux yeux des nationaux.

En début d'après-midi, nous arrivons à notre hôtel, le seul du circuit. L'après-midi et le lendemain matin sont dédiés aux éventuelles activités optionnelles : survol de la côte du Namib, quad dans les dunes, croisière pour aller voir les otaries et les poissons-lunes ... Pour ma part, j'avais envisagé depuis le départ de France d'expérimenter une nouvelle discipline : le parapente au-dessus des dunes. Hélas, la compagnie proposant ce vol étant moyennement fiable, j'ai dû abandonner cette piste il y a deux jours. J'ai ensuite envisagé du kayak de mer pour aller voir les otaries tout en me dépensant un peu mais cela aurait créé des problèmes de timing pour le groupe. Je me suis donc replié sur une dernière proposition, certes peu sportive, mais ô combien originale : la visite du township c'est-à-dire des quartiers les moins favorisés. Combien de fois dans ma vie aurais-je l'opportunité d'aller dans cet environnement que je ne pourrais découvrir seul ? L'occasion se présentant d'y aller avec un natif, donc en toute sécurité, je ne peux que la saisir !

Nous partons finalement à 6 sous la conduite de Bamba en direction de Mondesa. Ce district a vu le jour dans les années 50 pour pouvoir loger la population noire travaillant à Swakopmund. En Namibie, l'apartheid a en effet subsisté jusqu'en 1988. A la suite de l'indépendance du pays, en 1990, les différentes communautés ont pu commencer à vivre ensemble tout en gardant chacune leurs traditions. 

Aujourd'hui, il se compose de deux parties que nous allons parcourir : la partie la moins défavorisée où se trouvent les habitations subventionnées par l'Etat et la "salle  d'attente" pour cette première partie où les gens vivent dans un profond dénuement. Trois rencontres sont prévues en cours de route avec trois ethnies différentes.

Notre première rencontre est "Ouma" Lina (Grand-mère Lina), 89 ans, qui appartient à l'ethnie des damaras. Son père était d'origine anglaise et sa mère africaine. En vertu de la transmission matrilinéaire, semblable à celle que j'ai évoquée pour les himbas, elle a pu garder son identité de damara. En 1943, à 18 ans, elle a quitté son village pour venir travailler comme domestique dans une famille allemande. Elle fut aussi par la suite assistante d'un pasteur luthérien (ils représentent 60% des croyants contre 30% pour les catholiques et 10% de musulmans et de rastas). Avec ses anciens employeurs, elle est restée en bons termes et ils continuent à se voir aujourd'hui. Ouma Lina n'a pourtant pas encore arrêté d'oeuvrer pour sa communauté : son âge et la sagesse qu'il lui confère l'amènent à résoudre les problèmes familiaux des environs. C'est la troisième fois qu'elle a été élue à ce poste, pourvu pour une durée de 4 ans.

En quittant son habitation après plusieurs dizaines de minutes de discussion, Bamba nous fait remarquer une spécificité du coin : sur le toit de certaines maisons sont plantés des petits drapeaux blancs. Ce n'est pas tout à fait pour avoir la paix dans les chaumières. En fait, les gens les positionnent deux semaines avant leur mariage et les laissent en place jusqu'à ce qu'ils soient mis en pièces par les éléments (ou par le divorce ?).

La seconde personne que nous visitons quelques carrés plus loin est moins accueillante et plus intéressée mais elle répond tout de même à nos questions. Il s'agit de "Mama" Dalida de l'ethnie herero. Elle nous apprend que himba et herero ont la même culture initialement même si, à ses yeux, les seconds seraient "plus modernes". Lorsqu'elle retrace les grandes caractéristiques de ces populations, je me remémore notre visite avec John du côté d'Epupa : il s'agit d'éleveurs de vaches, la polygamie est autorisée tant que le mari en a les moyens, les croyances tribales d'antan se superposent aux enseignements du christianisme, le mariage forcé existe encore et l'oncle reste la personne la plus influente de la famille.

Mama Dalida a quitté son village au moment de ses études puis est restée en ville pour trouver un travail. Aujourd'hui, elle organise régulièrement des barbecues au cours desquels elle vend des brochettes aux passants.

Elle nous parle pour finir du costume traditionnel qu'elle porte tous les jours sans exception (robe ample et chapeau en forme de cornes si vous n'avez pas encore retenu). Seules les personnes ayant un uniforme pour le travail ou dont le mari ne le souhaite pas acceptent de quitter le vêtement identitaire. La couleur peut varier selon les occasions : claire pour les événements heureux, sombres quand ils sont plus tristes. Cependant elle n'a aucun sens particulier.

Nous quittons cette femme pour rentrer dans DRC, abréviation de "Democratic Resettlement Community", la partie la plus défavorisée et la plus précaire de Mondesa qui continue de s'étendre sans cesse. Les gens qui quittent la campagne pour rejoindre Swakopmund survivent d'abord ici quelques années avant de pouvoir acquérir un logement subventionné par l'Etat (prêt avec 7% d'intérêts). Le terrain est gratuit à DRC mais il faut trouver les matériaux pour bâtir son habitation puis se mettre à l'oeuvre. Le centre-ville est particulièrement loin et au moment où nous le traversons, nous voyons des élèves en revenant à pied ! Ici c'est le royaume de la tôle et de la débrouille. Il n'y a pas d'eau courante mais des pompes munies de compteurs. Les habitants y viennent avec une clé qu'ils introduisent dans le compteur et l'eau leur est ainsi facturée 10 cents le litre. Il n'y a pas de lumière autre que l'éclairage public.

DRC

DRC - Eglise

DRC - Ecole

DRC - Pompe à eau

Notre dernière rencontre est "Maro" (tante) Augusta Crista de l'ethnie nama. Elle est arrivée à Mondesa en 1991 puis a déménagé à DRC pour avoir son propre logement à elle, la terre étant gratuite. Sa mère et sa grand-mère lui ont transmis entre 6 et 16 ans une vaste connaissance sur la thérapie par les plantes. Elle possède ainsi aujourd'hui son officine et reçoit 5 à 6 visites chaque jour. Désormais, c'est à son fils qu'elle fait part de son savoir. Après nous avoir présenté une partie de ses remèdes et les maux qu'ils permettent de soigner, elle nous explique ne pas vendre ses traitements mais souvent procéder à du troc.

Dans un second temps, elle nous détaille une coutume amusante des namas : pour faire une demande en mariage, le garçon se procure une carapace de tortue dans laquelle il fourre une touffe de poils de chacal. Si la fille prend cette dernière c'est qu'elle accepte la proposition.

Enfin, elle termine en sollicitant notre participation et nous enseigne quelques spécificités de son langage. En effet, certaines ethnies namibiennes utilisent un langage à clics. Chez les san, il en comporte 7 différents tandis que pour les namas et damaras, "seulement" 4. Un clic tout seul n'a aucun sens, par contre sa prononciation et sa place dans le mot donne une signification qui peut varier du tout au tout, une déclaration d'amour pouvant se transformer en déclaration de guerre en l'absence de déclic ... Après test, je peux vous assurer que ce n'est pas facile et pourtant les mots choisis n'avaient que 2 syllabes.

Alors que nous nous séparons, Augusta Crista et ses enfants se placent à côté de la camionnette et improvisent quelques chants traditionnels. Je trouve ça touchant et généreux de leur part car rien ne les y oblige.

DRC - Habitations

DRC - Marché

Maro Augusta Crista

Les adieux

Pour clore cette après-midi instructive et riche, Bamba nous conduit dans un bar de Mondesa boire un coup. Puis, il nous propose une dégustation de mets nationaux traditionnels. Par hygiène, nous commençons par nous laver les mains. En bon cobaye, j'ai douloureusement senti ce que signifie "ébouillanté". Passons à table pour nous consoler. Le menu propose un moment inoubliable à base de tête de chèvre, de tripes, d'épinards et de vers de mopane. HEEEELP!!!! C'est promis, à l'avenir je ne dirais plus de mal de Mc Do mais s'il vous plait sortez-moi d'ici !!! Je suis même prêt à retourner manger du gâteau au Platane de Samarcande s'il le faut et pourtant c'est LA phrase que je pensais ne jamais ressortir de ma vie.

Après un moment à encore espérer une plaisanterie, le plateau débarque. Vous voulez savoir : les namibiens n'ont pas de sens de l'humour, ou alors pas ici ... 4 d'entre nous passerons le cap "vers de mopane". Quant aux deux plus jeunes, l'obstacle psychologique est trop grand et nous préférons jeter l'éponge. Pour ma part, soyez-en certain, c'est uniquement parce qu'il est déconseillé de grignoter entre les repas, sinon ... ["Une noix de makalani ? Oui volontiers merci !".]

Le supplice étant évité, nous terminons en assistant à quelques chants de la chorale Vocal Galore, un groupe d'étudiants entonnant bien "The lion is dead tonight" ou un hymne en hommage à Nelson Mandela.

Nous sommes de retour à l'hôtel à 19h25, 5 minutes seulement avant de partir pour le restaurant. Et quel restaurant ! Y officie une jeune serveuse allemande, Léa, qui va sacrément animer notre soirée en faisant véritablement le show avec un Mimi d'anthologie. Merci ! Avant que tout ne parte en vrille tel cet avion fiché dans le mur, je déguste un succulent filet de springbok. Je savais bien qu'il fallait que je me prive de vers de mopane pour pouvoir en profiter un peu plus tard comme je vous le disais sagement il y a encore quelques lignes... Le repas se termine avec une serveuse qui vient nous donner l'accolade ou nous faire la bise en partant, suite aux plaisanteries qui ont émaillé le repas et auxquelles elle a pris part. Qu'est-ce que nous avons pu rire !

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