L'incident porte-bonheur
Lundi 3 mars 2014
Lever à 6h30 ce matin. Le pliage des tentes est un peu plus exigeant que pour celles auxquelles je suis habitué avec les autres agences.
Nous allons dans un premier temps à Otjiwarango effectuer quelques courses. Chemin faisant, nous apercevons déjà babouins, koudous et autres steenboks dans un paysage toujours aussi verdoyant. Les panneaux de signalisation sont à peine moins exotiques. Des collines rompent de temps à autre la monotonie du paysage et des interminables lignes droites qui filent à l'infini. Parmi ces éminences, certaines sont des amas rocheux disparates, vestiges d'anciens lacs qui ont résisté à l'érosion au fil des époques. C'est incroyable de se dire qu'il y a des millions d'années le niveau du sol tutoyait leur sommet !
Otjiwarango, première ville dont on atteint le centre-ville. Le style architectural rappelle l'Allemagne, ancienne colonie qui dirigeait le Sud-Ouest africain d'autrefois. L'église en est un exemple. En face, une autre structure religieuse à la vocation floue. Une autre communauté ?
Après le ravitaillement, nous reprenons notre marche en avant. Pas pour très longtemps puisqu'un caillou coincé entre deux pneus fini par les lacérer totalement. L'arrêt est obligatoire. Deux pneus à changer pour deux roues de secours, la malchance n'est plus possible. Franco bien qu'écoeuré nous taquine sur la robustesse des pneus français alors que d'habitude il prend des chinois. La plupart d'entre nous jouent les entomologistes et dénichent de beaux spécimens. Avec deux autres personnes, je préfère, tel un cadre de la DDE, suivre l'évolution de la réparation étant venu pour voir de grosses bêtes et pas des petites. Le cric est un peu court et on voit régulièrement Franco qui soulève le camion quelques secondes avant que le cric ne redescende tout seul. Si on pouvait éviter le pancake aujourd'hui, ça m'irait très bien... Catherine finit par dénicher la pierre providentielle que notre chauffeur-mécano va garder avec lui tout le circuit.
Nous restons immobilisés un long moment, dépassés par plusieurs camions Scania à remorques. Chaque minute qui s'écoule est à soustraire du safari qui débute aujourd'hui. L'addition va potentiellement être salée ! Mais l'équipe ne ménage pas ses efforts par cette forte chaleur. En fin de matinée, nous repartons ... enfin jusqu'à Outjo, la ville suivante. Nous nous y procurons deux nouveaux pneus car il n'y aura pas d'autres opportunités avant la prochaine cité dans deux jours. Sur les trottoirs, nous voyons déjà quelques hereros, des femmes portant une tenue traditionnelle et un chapeau particulièrement remarquable en forme de cornes, héritage laissé par les allemands après leur départ, aujourd'hui objets identitaires suscitant la fierté de celles qui les portent.
Avant de prendre la place des touristes "bedonnants" de mon cliché initial, nous nous accordons une pause pique-nique sous un arbre bordant la chaussée. Principe de précaution : manger avant d'être mangés, même si, je le rappelle, "il est interdit de nourrir les animaux".
Nous sommes à présent à l'entrée du Parc National d'Etosha, LE lieu de safari par excellence en Namibie. Je vais tenter de le présenter en quelques lignes. Il a été découvert par un écossais et un suédois voulant ouvrir une route d'échanges commerciaux avec le Nord. En 1907, il a été déclaré Réserve Naturelle avant d'acquérir son statut actuel en 1946. Il s'étend sur 23 000 km² environ (nettement moins qu'il y a un siècle) et compte 114 espèces de mammifères, 340 d'oiseaux, 70 de reptiles ... Sa faune est adaptée aux milieux arides et semi-arides car l'eau ne s'écoule pas toute l'année. Il est ainsi impossible d'y trouver des hippopotames ou des buffles.
Malgré la profusion d'espèces, il ne faut pas partir sur le principe du Roi Lion où Rafiki va venir vous présenter Simba sous les vitres du bus pour que vous le preniez en photo tranquillement. Vous vous doutez bien qu'il n'y a pas de rendez-vous avec la faune. Comme partout ailleurs dans le monde, il va falloir la chercher. Toutefois, il y a toujours des points où il y a plus de chances de voir des animaux et les guides sont là pour ça. [J'ai bien fait la pub ? Je peux espérer quelle commission ?] Pour nous, la situation va être un poil compliquée car, saison des pluies oblige, la végétation est plus haute et plus dense donc l'animal est mieux caché et n'a pas besoin de se presser dans les rares bistrots locaux dits "waterholes" ou plus simplement points d'eau si j'arrête de me la jouer à la "Nelson Monfort". C'était sans compter sur notre horde assoiffée de belles photos. Si certains d'entre vous rêvent de danser avec les loups ou de murmurer à l'oreille des chevaux, pour notre part, nous n'attendions tous que de pouvoir jouer à cache-cache avec des éléphants et des fauves depuis notre plus tendre enfance.
Pour ceux d'entre vous qui, même sans être "ventripotents", ont déjà effectué des safaris (à Thoiry ça ne compte pas !), je vous précise juste que, dans ce parc, les véhicules ne vont pas n'importe où : il faut suivre des sentes déjà tracées.
Nous commençons par croiser des gazelles : springboks, impalas à front noir et steenboks. Les premiers sont marron et blanc avec une bande de peinture noire sur les côtes pour bien mettre en évidence les deux premières couleurs. Quand ils sont heureux, ils se mettent à bondir de façon fascinante et inattendue : toutes pattes tendues. Ils arrivent ainsi à atteindre des hauteurs impressionnantes ! La seconde espèce est de taille un peu plus grande ce qui lui a permis de ne recevoir la peinture que sur le dessus du museau. Enfin, le steenbok ou raphicère champêtre est si rase-moquette qu'il n'a reçu que quelques gouttes sur le nez et les oreilles. Comme il lui arrive d'agiter ces dernières, la peinture a légèrement coulé mais c'est du plus bel effet. N'étant pas naturaliste de profession malgré l'analyse très poussée que je viens de produire, je vous prie de m'excuser si une micro inexactitude s'est glissée dans le présent paragraphe. Elle serait totalement fortuite. Et si vous êtes professeur et que vous venez de trouver ça dans une copie de sciences naturelles, pas de doute : c'est du plagiat.
Non loin de là, une girafe-arbre découvre à son dépend que nous sommes de redoutables guetteurs. Les appareils crépitent à en déboussoler les sauterelles qui un temps auparavant faisaient le plus de raffut. "On t'a vuuuu ... Tu peux sortiiiiir !"
Sur notre piste, un éléphant est en train de traverser. Il se met sur le bas-côté dans une mare boueuse. Nous nous arrêtons pour le photographier. L'équipe locale est sur ses gardes car notre compère Dumbo peut retourner le camion ou le transformer en Saxo si l'envie lui en prend. L'éléphant tente de nous impressionner écartant les oreilles et agitant sa trompe en l'air. Comme ça ne fonctionne pas, il opte pour une nouvelle stratégie : celle du "pompiste". On voit sa trompe se gonfler mais la plupart sont absorbés par les photos. Puis, Dumbo tend la trompe à l'horizontale et souffle. Notre malheureuse compagnonne au premier rang s'en retrouve aspergée. Tant que ça ne vous arrive pas, ça vous fait bien rire mais, à y réfléchir, une thalasso faite par un éléphant, ça doit coûter un bras ! Enfin, sauf si je me trompe ... (désolé, elle était trop tentante celle là ^_^) Dumbo, content de sa farce, s'asperge à son tour gaiement avant de poursuivre son bonhomme de chemin.
Je profite de la fin de cette anecdote pour ouvrir une parenthèse "mes potes les chinois". Une bonne partie du braconnage actuel en Afrique leur est attribuable jusque dans les Parcs. La raison ? Contrairement à du tibétain ou du ouighour, l'éléphant ou le rhinocéros morts sont une source de revenus conséquents et de superstitions : leurs cornes/dents en ivoire sont des signes extérieurs de richesse très prisés quand elles sont sculptées et de puissants pseudo-aphrodisiaques une fois réduites en poudre. Un marché existe donc pour abattre illégalement ces espèces en voie de disparition. Et quand il n'y en aura plus, il restera toujours du tibétain ou du ouighour 100% "made in China" à persécuter. Ha les vertus de l'économie responsable et de la relocalisation !
Vous venez de rater du fait de mon aparté un gnou à 800 mètres à droite. Ne m'en veuillez pas, on en verra d'autres si vous êtes vigilants.
Après les premiers mammifères, c'est au tour des oiseaux de venir parader non loin de notre passage : outardes kori, outarde à blanc miroir, autours chanteurs, grue de paradis, rollier à longs brins ... Je vous présente juste les photos de ceux que nous ne reverrons pas mieux par la suite.
Après cet échauffement, mes yeux ne peuvent plus rien rater et, bien que nous roulions assez vite, je repère derrière un buisson ma plus belle "découverte" : un léopard tapi dans un fourré. Quelle chance ! Stéphane nous avait déjà avertis qu'il n'en avait aperçu que 7 fois en 6 ans. Et dire que si nous n'avions pas crevé, jamais nous ne l'aurions vu ! Quand on parlait de hasard et de chance ...
Dernières rencontres de la journée : une famille de phacochères grégaires, un oryx fixe et un varan imprudent. Enfin, un point blanc à la limite du champ de vision. Le véhicule s'arrête. Les zooms les plus puissants identifient un rhinocéros blanc. J'avais initialement cru à un minibus de safari ...
Ce soir, nous rejoignons le campement de Halali. Drôle de nom si on omet l'aspect orthographique. Je me demande à qui il fait référence ? A nous ou au gibier ? Nous y installons nos tentes. A l'issue du repas, nos voisins, de jeunes américains, sont visités par un ratel, sorte de "blaireau" local pouvant être agressif et projeter un liquide. Nous poursuivons jusqu'au point d'eau éclairé où viennent en théorie s'abreuver les animaux. Mais comme c'est la saison des pluies et que nous faisons pas mal de boucan, ça semble râpé pour ce soir ... Je repars avec Stéphane après 30 minutes de présence pour me brosser les dents avant de me coucher. Franco reste avec Guillaume sur place. Alors que je range ma brosse à dent dans son étui, un rire d'hyène rompt le silence nocturne. Stéphane me dit de me dépêcher mais nous arrivons hélas trop tard. Franco et Guillaume l'ont vue. Comme quoi ça ne tient à rien ! Ce qui est aussi impressionnant, c'est la proximité du cri. On aurait presque pu jurer qu'elle était là, à côté, dans l'enceinte du camp. Nous sommes à présent vraiment immergés au milieu de la nature sauvage et ce sont les animaux qui peuvent venir nous voir dans notre cage, à notre insu.