Une série de cascades
Jeudi 6 mars
Ce matin, Stéphane nous accorde une grasse matinée jusqu'à 6h30. C'est qu'on y prendrait goût ! Nous attendent 200 kilomètres de pistes à travers le Kaokoland, le pays des Himbas. Même sans être secoués comme des bouteilles d'Orangina, la chaussée étant en bon état, il faudra compter la matinée de voyage si tout va bien.
Nous quittons le camping et traversons la ville sous les salutations des enfants qui partent à l'école. Tous portent le même uniforme : chemise bleue et bas gris. Une véritable chenille du savoir qui s'étend sur plus d'une centaine de mètres. Devant le bâtiment lui-même, l'attroupement est tout aussi conséquent mais des uniformes rouges complètent les rangs : possiblement des classes plus âgées. Enfin, de l'autre côté de la route, une poignée de parents-poules qui couvent leurs enfants du regard jusqu'au dernier moment.
Quant aux autres passants, nous notons qu'avec une température d'environ 20°, ils sont couverts comme s'ils sortaient de l'hiver. Par exemple, les femmes himbas sont emmitouflées dans un châle.
Au sortir de la ville, au sommet d'une butte, le bitume disparaît. Nous ne le reverrons pas avant longtemps. Pour autant, il ne va pas nous manquer car, comme je viens de le préciser, la piste n'est pas cahoteuse dans sa majeure partie. Seules quelques tranchées, creusées par de récentes pluies, viennent vous réveiller de votre torpeur lorsque vous êtes positionnés au-dessus des essieux. Rien de bien alarmant en résumé. C'est pour cela que je classerais notre voie de circulation comme une "2 vertèbres" en comparaison des chaussées "5 vertèbres" d'Asie Centrale. "2 vertèbres", c'est aussi un petit goût d'aventure et c'est au demeurant ce pour quoi vous êtes venus...
Les véhicules, quelle que soit leur vitesse, soulèvent des nuages de poussière qui permettent de les repérer de loin. A intervalles réguliers, nous croisons des autochtones que nous saluons d'un geste amical de la main, un peu comme si nous étions du coin. Systématiquement, ils nous répondent quand bien même ils sont lourdement chargés. Le bétail (vaches, ânes, chèvres) est également très présent au début.
Au fil des kilomètres le paysage se modifie : la terre devient plus rouge, les vallées plus longues et ouvertes, les villages s'espacent ... Il est toutefois curieux de constater qu'en plein milieu de cette zone inhospitalière, les habitants arrivent encore à tirer quelque chose de la terre, de leur terre. Les champs sont ainsi en culture et parfois beaux à voir, même si leurs fleurs jaunes, semblables au colza, sont ne sont pas comestibles.
L'essence omniprésente est le mopane. Au départ, c'est une toute petite feuille de quelques centimètres qui sort à peine du sol. Au terme de sa croissance, sa taille minimale est de 4 mètres. Les ressources qu'il offre sont multiples : bois pour la construction ou le chauffage, fabrique d'ustensiles, vertus thérapeutiques (notamment pour la cicatrisation des plaies), source d'alimentation grâce aux vers qu'ils abritent (gros comme le pouce) ... Au vu de la densité de la forêt, je me demande également comment sont gérés les incendies ici car il ne doit pas y avoir de grands moyens pour en venir à bout ? Stéphane me précise que, si des habitations privées ne sont pas menacées, il n'y a aucune intervention car le feu contribue au renouvellement de la nature. Il existe notamment des palmiers qui ont besoin de fortes chaleurs pour expulser leurs graines et se répandre. Ceux-ci donnent également des fruits ayant l'apparence de mini noix de coco : il s'agit d'ivoire végétal.
De-ci, de-là, des villages traditionnels himbas construits à partir des éléments les plus simples : du bois et de la terre argileuse en guise de murs, parfois de la chaume pour toiture. Pour améliorer l'étanchéité, on voit même des modèles couverts de bâches en plastique ou de tôles.
Sur la fin de matinée, le relief se courbe doucement, réduisant un horizon qui a longtemps été filant. Des baobabs viennent s'intercaler au milieu des mopanes et des amas rocheux émergent du couvert, sous forme de mille-feuilles volcaniques.
Vers midi, nous entrons dans notre camping à Epupa Falls. Nous allons rester sur place pour deux nuits. Nous sommes au bord de la rivière frontalière avec l'Angola qui répond au doux nom de Kunene. Ce charmant cours d'eau sert de piscine et de lieux de vie à des crocodiles. A 20 mètres en aval de notre position, il se jette dans le vide d'une hauteur de 30 mètres : ce sont les chutes d'Epupa. La baignade est donc interdite aux personnes équilibrées, les autres peuvent choisir leur fin à la carte ou selon leur sensibilité (la protection des bêtes ou une belle performance sportive). De toute manière, la couleur de l'eau et son opacité ne sont pas spécialement engageantes... Malgré ces détails, je trouve le cadre du camping extrêmement agréable.
L'arrivée dans ce site marque également pour moi un changement d'habitudes : l'eau du robinet qui jusqu'ici était potable aux normes européennes, devient potable mais aux normes africaines. Elle présente en effet une légère coloration et son goût est moins bon. Qu'à cela ne tienne, j'ai une réponse à ces deux bémols : des pastilles pour la purifier et mon "smoothie qui n'est pas un smoothie" pour le goût. Au moins, mon erreur initiale aura finalement eu un intérêt.
Après le pique-nique, nous passons un long moment à ne pas faire grand-chose car la chaleur est jugée trop importante pour aller marcher : près de 40°. Cette température est par contre supportable me concernant en raison de la faible hygrométrie. Je profite donc de notre inactivité forcée pour écrire les traditionnelles cartes postales à mes proches puis pour me cultiver. Comme pour les champs de ce matin, cette dernière étape nécessite beaucoup d'efforts pour un résultat souvent désespérant.
Vers 16h30, nous nous rassemblons pour la balade pré-apéritive. L'objectif est d'approcher de plus près les cataractes et de chahuter un peu notre couenne. J'avais presque oublié ce que c'était que de mettre une jambe devant l'autre en alternant sans cesse... En quelques centaines de mètres (oui, oui toujours sans camion !), nous arrivons au bord d'un des multiples bras de la rivière. Celle-ci en comporte tellement que l'on n'a jamais pu voir la rive angolaise directement ! Dans un mini-bassin peu profond, une famille fait la lessive tandis que le jeune garçon se baigne vu le faible fond. Nous franchissons à gué quelques filets d'eau en équilibre plus ou moins précaire sur des pierres bancales. Le plus précaire fait "plouf" à cause d'une faiblesse chronique au genou. Non loin de là, la Kunene fait le grand saut. Nous nous retrouvons sur une île. De sa pointe, la vue est stupéfiante car nous sommes à deux pas des chutes. Elles ont la forme d'un couloir d'une trentaine de mètres de longueur et très étroit. De tous bords, l'eau dévale avec un débit impressionnant et dans un rugissement furieux. En bas, les rouleaux sont tels que de la vapeur se dégage en permanence masquant une partie du fond. Au milieu de ce nuage se forme un arc-en-ciel. Je me croirais volontiers devant une reproduction en miniature des chutes Victoria ! Je suis émerveillé et conquis par la beauté des lieux.
Pour autant, nous n'en sommes qu'au début de nos surprises car les chutes présentent un front étendu sur 2 à 5 kilomètres selon le niveau de la rivière. Au fur et à mesure que nous prenons de la hauteur, nous découvrons le cadre dans toute sa splendeur. L'eau déboule de partout soit directement, soit en glissant le long de plans inclinés. Elle se fraye un passage là où elle peut et enserre ainsi des parcelles de terre suspendues au bord du vide sur lesquelles se dressent de massifs baobabs.
Après avoir difficilement réussi à nous déscotcher de cet endroit, Stéphane nous entraîne sur un sentier en balcon qui descend progressivement pour se rapprocher de la Kunene. Chemin faisant il nous présente deux euphorbes : l'un coupe la faim définitivement, l'autre temporairement et est utilisé pour cette propriété. Concernant le premier, il s'appelle "euphorbia virosa" soit la variété la plus toxique de cette espèce. Stéphane nous décrit les usages : souvenir pour nos chefs (j'ai toujours hésité avec du piment enrobé de chocolat pour la surprise), lors de la chasse pour affaiblir les animaux, remède pour traiter les oedèmes ... L'ingestion de son suc par un être humain tue en quelques heures. Certains auraient même été intoxiqués en faisant un barbecue sur un feu comportant des morceaux d'euphorbe virosa. Dans la rubrique des morts stupides, elle n'est pas mal du tout. J'imagine bien les titres dans les journaux...
Je dois préciser si vous ne savez pas ce qu'est un euphorbe (je ne le saurais pas forcément si je n'avais pas Belzébuth chez moi en prévision d'un prochain barbec') : il s'agit d'une sorte de cactus au niveau de l'apparence, sauf que ce n'est pas un cactus. D'ailleurs, cette essence est totalement absente de Namibie. Lorsqu'on en trouve, c'est qu'ils ont été importés.
Au terme de la descente, nous sommes sur une plage au rivage très pentu. Nous restons au sommet au cas où un saurien serait également en balade pré-apéritive. Les espèces locales feraient 4 à 5 mètres de long mais la vérification est pour demain...