Rencontre avec les himbas

Vendredi 7 mars

Lever incroyablement tardif aujourd'hui : 7h ! Et en bonus nous n'avons pas à démonter les tentes. Si ce n'est pas Noël, ça y ressemble. Par contre, les groupes électrogènes sont déchargés et l'eau n'arrive donc plus aux robinets pendant le premier quart d'heure. J'ai très bien dormi avec le grondement des chutes en bruit de fond. Au petit-déjeuner, nous faisons connaissance avec John, notre guide himba "moderne" (il porte un T-shirt, lit des livres et a même un mobile), qui va nous introduire au sein d'une famille de son ethnie. Si je résume le programme qui nous attend pour cette matinée, je dirais que c'est la rencontre entre des descendants de sans-culottes avec des femmes topless.

Pour accéder à un village qui n'est pas encore totalement déformé par le tourisme, nous couvrons 30 kilomètres. La tribu vit à un kilomètre de la piste principale la plus proche. John se rend d'abord seul à la rencontre des himbas, officiellement pour voir s'ils sont disposés à nous accueillir. La relation entre African Eagle et eux est simple : les touristes viennent pour découvrir un mode de vie traditionnel et prendre des photos en échange de quoi l'agence leur fournit quelques denrées et présents, je suppose un peu d'argent aussi. Mais pour ne pas déprécier trop fortement cette visite, je me dois de préciser que, en dehors des quelques bibelots fabriqués pour les touristes, je n'ai pas vu au cours de notre passage d'éléments laissant à penser qu'il s'agit d'un "musée à ciel ouvert". Les seules concessions au confort moderne sont une ampoule et des clés pour fermer les cases. African Eagle parvient donc à conserver une certaine authenticité et notre bref aperçu a valu le coup (plus que la visite des femmes girafes en Thaïlande par exemple).

Au total, nous sommes restés 2 heures sur place. Je vais donc pouvoir vous présenter cette ethnie plus en profondeur pour celles et ceux que ça intéresse.

Le village est entouré d'une enceinte en bois de mopane pour protéger les habitants et le bétail des prédateurs (lions, hyènes, léopards, ...). Il faut savoir qu'il y a 400 à 450 lions qui errent en dehors de toutes réserves dans le pays ... Au coeur de ce premier cercle de bois, une autre palissade plus petite, elle-aussi en bois. Il s'agit du kraal où sont protégés vaches et veaux car le bétail, c'est la principale richesse de cette ethnie. Perdre son troupeau, c'est perdre ses revenus, son honneur et son identité.

Les cases sont disposées autour du kraal central. Entre celui-ci et le logement de la femme principale est disposé le feu sacré. Il est strictement prohibé de passer entre ce feu et cette case car c'est l'endroit consacré pour la commémoration des ancêtres. Son accès est donc restreint à la famille. Non loin de cet endroit, des troncs sont reliés ensemble et pointent vers le ciel : c'est l'"arbre de plomb" qui est renforcé par de nouvelles branches à chaque nouvelle union. 

Les himbas sont des nomades qui, à chaque déplacement, reconstruisent un village à partir de rien. Les hommes sont actuellement avec le troupeau sauf les anciens. Les femmes et les enfants en bas âge sont restés car ils ne quittent jamais le village.

Cette ethnie est polygame : s'il est assez fortuné, le mari peut entretenir plusieurs femmes. La première est désignée par les parents : il s'agit souvent d'un bébé d'1 ou 2 ans qui, plus grand, rejoindra son époux déjà adulte. Cette femme vient en général d'un autre village pour éviter la consanguinité. Elle peut choisir librement les autres épouses, la décision n'étant alors plus fixée par des conventions. Le but de l'opération est de maximiser la progéniture que la première femme soit encore en âge de procréer ou non. La plupart du temps, quand un nouveau couple se forme, notamment quand il s'agit de jeunes, il quitte la communauté pour aller fonder un autre village ailleurs. Le mariage s'étire sur 3 ou 4 jours et rassemble plusieurs centaines d'invités. Parmi les rites, j'ai déjà parlé de l'arbre de plomb. Des colifichets peuvent parfois faire office d'alliances.

La descendance est matrilinéaire : l'enfant hérite de son oncle. L'éducation n'est pas dispensée par les parents mais par le reste de l'entourage, notamment côté maternel. Mais la situation est en train d'évoluer avec la percée des moeurs chrétiennes orientales qui pénètrent jusqu'ici et prônent l'apprentissage par les parents, la transmission patrilinéaire ... Les enfants ne vont généralement pas à l'école. Le taux d'alphabétisation est pourtant de 86% en Namibie ...

Pour se soigner, les himbas recourent en premier lieu à des guérisseurs. Chacun officie pour plusieurs villages. Ses soins font large usage de plantes. Ce n'est qu'en dernier recours qu'une personne se rend au dispensaire et plus encore à l'hôpital. Enfin, l'enterrement se célèbre en dehors du village.

La femme himba n'utilise jamais d'eau et ne se lave donc pas tandis que les hommes qui accompagnent le troupeau, ont accès à des points d'eau occasionnellement. Pour faire sa toilette, elle procède donc à des fumigations quotidiennes. Après cette "purification", elle s'enduit le corps d'une substance mêlant graisse animale, poudre d'hématite et terre ocre. Cela lui permet de se protéger à la fois du soleil et des insectes. Enfin, elle n'hésite pas à fabriquer et s'appliquer des parfums à base de plantes.

Continuons en parlant de la tenue. Comme signalé précédemment, les femmes ne se couvrent pas la poitrine car, dans leur culture, ce n'est pas un attribut sexuel donc elles n'éprouvent aucune gêne à évoluer ainsi. Elles portent des bijoux relativement lourds comme un collier en fer rempli de terre compactée ou encore des bracelets pour les chevilles. Ceux-ci comportent des bandes verticales indiquant le nombre d'enfants : 1 bande pour un seul bébé, 2 bandes quand il y en a plus. La jeune fille porte une ceinture tant qu'elle n'est pas devenue mère.

L'élément le plus codifié est peut-être la coiffure. La petite fille porte deux tresses à l'avant, pré-pubère, leur nombre peut augmenter mais elles pointent encore vers l'avant. Quand elle est prête à se marier, elles sont ramenées vers l'arrière. En cas de gémellité, chacun porte une tresse. Certains enfants qui n'ont pas le droit de manger de viande à cornes doivent porter 4 tresses. Les petits garçons sont d'abord boule-à-zéro. Après la circoncision, ils peuvent par exemple porter une seule tresse ondulée vers l'arrière ou le haut. Enfin, la femme mariée possède de longues nattes enduites d'ocre et autres matières. Au sommet du crâne, elle porte l'erembe, une coiffe plissée en peau de chèvre.

Sur la fin de la visite, après avoir circulé librement au milieu du village, la première épouse nous accueille dans sa case pour nous expliquer la tenue traditionnelle lors du mariage notamment. Je n'entrerai pas autant dans le détail au vu de la profusion d'éléments qui entrent en jeu : colliers, robes, coiffes, parure pour le dos ... bref jusqu'à 15 kg pour l'épouse (bien moins pour le fainéant).

L'intérieur de l'habitation est assez dégarni. Quand on y rentre, les hommes doivent gagner la partie gauche, tandis que les femmes la droite. Un feu à l'entrée sert exclusivement à l'éclairage-chauffage car la cuisine est réalisée ailleurs. Le lit est en cuir de vache, le sol souvent nu. Aucun meuble n'agrémente l'espace vacant.

Nous vivons enfin quelques moments d'échanges : prises de photos ensuite montrées à nos modèles qui éclatent de rire, un petit étonné par mon carnet de notes et mon stylo qui laisse des traces tout au long de la page ...

Femme himba

Nécessaire pour la fumigation

Coiffe traditionnelle pour le mariage

Femme himba et son enfant

Nous regagnons alors le camping pour le pique-nique puis la pause farniente. Comme hier, certains d'entre nous en profitent pour traquer l'oiseau exotique comme le tisserin d'autres font la lessive, lisent, écrivent, ... Enfin, il y a ceux qui ont écopé d'une drôle de peine : munis d'un maillet ou d'une pince, ils s'acharnent sur les coques ultra-résistantes d'ivoire végétal pour en extraire le fruit. Alors que je les prends pour des bagnards, il s'avère qu'ils travaillent en réalité pour des enfants déshérités du Gabon. Nous avons des gens bien dans notre groupe n'est-ce pas ?

En fin d'après-midi, John revient pour nous amener en offrande aux crocodiles bien que le but de la balade ne soit pas tout à fait libellé ainsi. Il est plutôt question d'une nouvelle promenade pré-apéritive. Nous longeons le village pour commencer puis la Kunene, mais cette fois-ci vers l'amont. Ce faisant, nous apercevons des angolaises qui retournent chez elles clandestinement. Les autorités ne leur font pas spécialement la chasse car elles savent que des familles sont disséminées des deux côtés de la frontière, et ce, depuis plusieurs décennies. Coup sur coup, nous voyons deux animaux moins teigneux que les sauriens : des perroquets de Rüppell puis des vervets, une des deux espèces de singes du pays. Des enfants leur jettent des pierres pour s'amuser. Moi, je leur jetterais bien des enfants si j'avais moins de principes moraux.

J'aurais pu vous inventer une magnifique histoire de crocodiles pour poursuivre. Mais voilà : nous n'en avons vu que des empreintes. Parce que le vent s'est levé progressivement faisant tomber quelques branches de palmiers de plusieurs mètres de long telles des hallebardes. La pluie approche ... Nous avons juste le temps de passer près d'un jardin cultivé avec du maïs, de traverser un cours d'eau (encore) asséché sans emprunter le pont plus que branlant, de découvrir un adénium dont le suc très toxique une fois bouilli est utilisé pour abattre les animaux et de parvenir devant des gravures sur les pierres.

Nous n'irons pas plus loin car le rafraichissement va nous être servi ici-même. En quelques secondes la pluie commence à tomber drue et le ciel à tonner. Nous rebroussons chemin tout en expérimentant pendant une petite demi-heure la saison des pluies. Ce n'est pas cher payé pour tout un voyage en cette période normalement très arrosée. Le gros de l'orage reste cependant cantonné à l'Angola où de gros nuages noirs s'amoncellent. De retour au camp, le groupe se disperse. Je reste dehors à discuter avec Franco et Daniel. Ce dernier tente de me convertir au protestantisme avec de longs prêches enflammés. En vain. Puis, nous plaisantons lorsqu'il réussit à joindre sa femme au téléphone. Nous sommes peu nombreux mais nous payons une bonne tranche de rigolade.

L'atmosphère est assez irréelle au moment de commencer le repas car absolument tout se pare d'une teinte jaunâtre : paysage, sol, ciel, vêtements ... Comme si nous observions notre environnement à travers un filtre. Je ne me souviens pas avoir déjà vu un tel phénomène que je ne sais donc ni retranscrire, ni expliquer !

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